Le dernier Van Gogh
Comme il s’était frayé un chemin au travers des fourrés humains, il était descendu vers le Sud, laissant en friche ses premiers lopins de terre où le semeur solitaire lui avait rendu visite. Depuis, des toits penchaient dangereusement, basculaient Auvers-sur-Oise. Son chevalet avançait maintenant au milieu des blés en bataille, il avait mis en joue la campagne blessée par son regard en flammes, pyromane de la peinture, des images d’un ciel en ignition rasait la terre, malade à en vomir du vert, malade jusqu'à la syncope des épis de blés, virgules affolées sur cette terre en sursis.
En cette saison, les blés et les corbeaux volaient déjà à basse altitude dans sa courte destinée, les tournesols se réfléchissaient sur la nappe sombre du monde, le sol tremblait à se fendre entre la convulsion des blés et le vol anarchique des oiseaux au cri noir. Tout se mettait à danser, danse macabre des blés à l'approche des corbeaux menaçants dans un ciel déjà en déshérence.
Non décidément, il ne voyait "nulle part ici la gaieté du sud, mais plutôt une désinvolture insipide et une négligence sordide". Les gris d'hier lui paraissait plus joyeux que les rouges vifs qui giflaient ce Sud indolent et paresseux...
Le pinceau se débattait, mais l’orage grondait de plus en plus sur la toile cirée.
Ce qu’il voyait ce n’était plus la campagne soyeuse et grisante aux couleurs chatoyantes,
mais son propre désastre qu’il était en train de découvrir, à la lueur de son esprit constellé.