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13 novembre 2008

Lévinas et le beau

Emmanuel Lévinas épouse une position insolite dans le paysage de la philosophique esthétique, dans le sens où la notion de Beau ne l'arrête pas. Et si elle fait question, elle ne fait pas pour autant problème pour lui, s'il ne lui accorde que peu d'intérêt ce n'est pas tant pour s'en dégager ou pour l'éluder mais pour éviter, comme il le dit, de "lâcher la proie pour l’ombre". Lui accorder une place serait, selon lui, contenir cette notion dans son éclat d’image (le mot éclat étant à prendre dans le sens premier de ce qui est lumineux, de ce qui rayonne), dans une sorte de fascination spéculaire qui déroberait le sujet à la manifestation ou révélation du visage. Comme on sait, le visage est l'horizon de la pensée de Lévinas, ce vers quoi sa pensée tend, son souci philosophique en quelque sorte. Il serait vain de croire que le philosophe de La réalité et son ombre condamne le beau en tant que tel, mais il le met à l'épreuve en nous montrant que le beau ne peut être voué qu'au silence, silence de l'être avant sa Révélation au sens religieux.Toute la philosophie de Lévinas est traversée par une conception religieuse du visage de l'autre, et si beauté il y a, elle ne peut se dire que dans et par la parole critique : il s’agit donc pour lui de recouvrir l’éclat de l’image (plastique ou sonore) pour en rendre possible la manifestation, d'où son intérêt pour l'oblitération qui masque, rature, raye, ôte, prélève,... pour mieux révéler. Il ne s'agira plus pour le philosophe de parler de l’art, ou avec l’art, mais de parler l’art. Le commentaire ou le récit sur, quel qu'il soit, est selon le philosophe vain. Et pour le dire abruptment, point de salut hors ce parler l'art. L’esthétique ne peut donc être première, selon sa conception, au mieux est-elle "déclassée" en position seconde dans la compréhension de ce qu'est la beauté d'une oeuvre. L’éclat ne peut faire l'objet d'une catégorie ou d'un concept en ce qu'il réfléchit quelque chose qui relèverait de l'effet que produit sur nous une chose ou un visage. L'artifice appelle le mensonge qui n'est pas antinomique avec une certaine grandeur au contraire, c'est même pour Lévinas le propre de l'art que de donner "un visage aux choses". Nous ne pouvons voir le beau qu'à l'envisager ; mais ce don fait aux choses ne conduit-il pas à une impasse, une aporie ? Comme si nous devions nous familiariser avec ce que nous est étranger, qui dans sa bouche indique ce qui est de l'ordre de l'altérité radicale. Lévinas ne se défend pas face à ses détracteurs, et contre toute attente, il souligne que l'art n'est pas un élément fédérateur d'un point de vue social mais annonce ironiquement (?) a pour effet de séparer. Accueillir le Beau ne peut se faire que dans la solitude face à une oeuvre, et ne peut souffrir la présence active de l'autre (ses commentaires, ses appréciations, son discours... sont pour Lévinas considérés comme toujours pauvres voire appauvrissants au regard de l’expérience singulière, dans l'immédiateté de notre rapport avec l'oeuvre). Les totalitarismes ont tué cette approche innocente qui consistait à accueillir le beau sans ce besoin de faire valoir une certaine esthétisation de la vie. Est-il besoin de rapppeler avec George Steiner, que le camp de Buchenwald n’était qu’à quelques kilomètres de Weimar, capitale de la culture occidentale pendant des siècles. L'Ecole ne parvint à résoudre cette déroutante mise en question qu'en inoculant la présence du mal dans le beau. Levinas y voit une subordination d'un excès illusoire (celui du beau) à un autre, véritable, celui-ci, qu’annonce le visage du prochain.

Mais Lévinas ne prête pas le flanc à la crtique programmée, il ne reviendra pas sur une conception icônolâtre du visage, comme certains de ses contemporains pouvaient s'y attendre. L’art est pour Lévinas rien moins que la doublure de la réalité, son ombre inséparable – comme il y va de toute chose en son ombre prolongée et pro-jetée– mais dont le drame consiste selon le philosophe à éliminer ou dissiper la part d’humanité indissociable de l’éthique. Cette ombre réduit désormais le verbe au silence. L’ombre n'est pas ce dont on peut se défaire comme d'une parure, elle est inexoarblement là, elle colle à l’objet, elle le redouble, mais jamais à la manière d’une contrefaçon : elle en constitue une extension paradoxale qui le trahit et le recompose. Une fois éclairé par le langage de celui qui le reçoit, l’objet trouve sans doute sa "vérité" mais ce "langage" du critique ou de l’amateur ne pourrait effacer l’ombre originaire propre à l’œuvre d’art.

Selon l’idée de Lévinas "là où le langage commun abdique", nous sommes engagés dans le domaine de l’ineffable, réservé à l’art. "L’œuvre, plus réelle que la réalité, atteste la dignité de l’imagination artistique qui s’érige en savoir de l’absolu", dit le philosohe. Cette formule se veut ironique à l'égard du critique d’art jugé comme un "parasite" ou plutôt un falsificateur qui ruinerait par l'usage qu'il fait du langage, la pureté d’une expression qui mérite davantage qu'une paraphrase ou qu’une manière de tautologie.

Levinas s’emploie à démonter ce paradigme qui consiste à assimiler l’art à un langage. Il est même à se demander si l’artiste "parle" vraiment ou répond à un sourd désir de parler, dès qu'il suscite, chez les autres, chez les critiques, justement "un besoin irrésistible de parler", rien n'est moins sûr. Le concept "d’achèvement" est pris à parti pour argumenter cette dénonciation du "dogme", ainsi nommé par lui pour dire la puissance principielle de ce paradigme. L’œuvre d’art en tant qu'elle est achevée, se dégage du monde – la notion d’art engagé ne fait pas sens pour Lévinas– et, pour cette raison même, elle ne parlerait pas aux hommes. À la fois achevée et dégagée donc, l’œuvre d’art ne ne saurait être confondue à une phrase qui fût une promesse "de dialogue".

La situation s’avère paradoxale: Levinas ne donne-t-il pas ainsi des gages à un autre "dogme", encore présent à son époque, à savoir celui de "l’art pour l’art"? Les esthètes insistent en effet moins sur un hypothétique rapport de l’art à une connaissance quelconque que sur sa distance radicale vis-à-vis de l’existence et du monde de la connaissance. On peut rappeler ici les réflexions de Mallarmé sur le langage et son aspiration à ne retenir du mot, par le poème, que sa singularité sonore, le fameux "aboli bibelot d’inanité sonore". Valéry développe aussi l’idée d’une transformation fondamentale du langage au creuset de la littérature. Gracq enfin insiste sur la clôture de l’œuvre en laquelle un dynamisme entièrement neuf s’instaure entre les mots et leurs représentations habituelles.

Mais Levinas n’emprunte pas cette direction: il prépare un coup d'état : allant jusqu'à subvertir le "dogme", à savoir la ré-interprétation du dégagement, non comme un "au delà" mais comme un "en deçà" sans régresser vers la théorie de "l’art pour l’art" qui resterait encore inaffranchie "dogme".

Ce texte de 1948 doit être compris dans un contexte où l’attitude esthétisante de certains de ses contemporains, plus avides de noces avec Pétrarque, ne semblaient pas éprouver de compassion pour la tragédie de l'histoire récente, aussi décide-t-il de proposer une réflexion sur l’art avec tout le sérieux qu'on lui connaît : il montre alors que l’obscurité est un élément coextensif à l’art, et pointe en direction l’obscurité "du réel". Elle ne tranche pas sur l’être, elle lui appartient mais sur le mode du "non vrai" qui dit paradoxalement un lien indissoluble avec le vrai, à la lumière ; ce lien est l’Être même. C’est pourquoi le philosophe ne peut esquiver la question de cet événement ontologique qu’est l’art.

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