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Porte sur le toit
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10 juillet 2008

"alllo allo" Aimé Césaire

Prophétie

"Là
où l'aventure garde les yeux clairs
là où les femmes rayonnent de langage
là où la mort est belle dans la main comme un oiseau
saison de lait
là où le souterrain cueille de sa propre génuflexion un luxe
de prunelles plus violent que des chenilles
là où la merveille agile fait flèche et feu de tout bois


là où la nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs végétaux



là où les abeilles des étoiles piquent le ciel d'une ruche
plus ardente que la nuit
là où le bruit de mes talons remplit l'espace et lève
à rebours la face du temps
là où l'arc-en-ciel de ma parole est chargé d'unir demain
à l'espoir et l'infant à la reine,


d'avoir injurié mes maîtres mordu les soldats du sultan
d'avoir gémi dans le désert
d'avoir crié vers mes gardiens
d'avoir supplié les chacals et les hyènes pasteurs de caravanes


je regarde
la fumée se précipite en cheval sauvage sur le devant
de la scène ourle un instant la lave
de sa fragile queue de paon puis se déchirant
la chemise s'ouvre d'un coup la poitrine et
je la regarde en îles britanniques en îlots
en rochers déchiquetés se fondre
peu à peu dans la mer lucide de l'air
où baignent prophétiques
ma gueule
ma révolte
mon nom."

Le crystal automatique

allo allo encore une nuit pas la peine de chercher c'est moi l'homme des cavernes il y a les cigales qui étour- dissent leur vie comme leur mort il y a aussi l'eau verte des lagunes même noyé je n'aurai jamais cette couleur- là pour penser à toi j'ai déposé tous mes mots au monts de-piété un fleuve de traineaux de baigneuses dans le courant de la journée blonde comme le pain et l'alcool de tes seins


"allo allo je voudrais etre à l'envers clair de la terre le bout de tes seins à la couleur et le gout de cette terre-la


allo allo encore une nuit il y a la pluie et ses doigts de fossoyeur il y a la pluie qui met ses pieds dans le plat sur les toits la pluie a mangé le soleil avec des baguettes de chinois


allo allo l'accroissement du cristal c'est toi...c'est toi ô absente dans le vent et baigneuse de lombric quand viendra l'aube c'est toi qui poindras tes yeux de rivière sur l'émail bougé des îles et dans ma tête c'est toi le maguey éblouissant d'un ressac d'aigles sous le banian "

Aimé Césaire

Aimé Césaire étaient de ceux qui "disaient non à l'ombre" (1), phrase sans appel, irréfutable tel un axiome qu'il nous faut adopter en bloc ou refuser entièrement. Une phrase radicale, qui tombe verticalement et nous convoque au danger puisqu'il nous est demandé de franchir, tout au moins de "regarder" fluer "le fleuve peuplé de caïmans" (2). Partout où l'ombre faisait irruption, Aimé Césaire prenait les armes, l'homme, le poète, le militant que l'on sait. Quand l'ombre se dérobait il la débusquait, la déshabillait pour l'authentifier, et la combattait, tout assuré qu'il était de son adversité. Cette haute entreprise demandait un courage féroce, une généronisité pugnace, une vitalité primordiale. Et "pour que ne tourne l'ombre" '(3), il se dressait sur une langue qu'il avait si bien domptée, apprivoisée, et labourée en tous sens, qu'il mis bas une "terre" où les mots ne paraissaient ne faire valoir que l'acte créateur de leur production. "Avec un mot frais, disait-il, on peut traverser le désert d'une journée." Oui, cette fraîcheur nous manque et nous y revenons comme à une fontaine, quand bien même fût-elle peuplée de caïmans.

Césaire n'avait d'autre souci que d'arracher les mots à leur finitude, de les affranchir d'une quotidienneté qu'il considérait comme une étroitesse. Il avait insufflé un autre sang, une liberté à la fois terrible et joyeuse qui devait déconcerter le sens : 

"Voum rooh oh à contraindre la pluie,

à contrarier les raz de marée

Voum rooh oh que mes cieux à moi souvent"

Ses images ont souvent force de jaillissement, elles ont la force des volcans amis : "lumière incandescente des entrailles invisibles de la terre" (6)

Aimé Césaire ne jouait pas comme cela fut dit des paradoxes, il aimait à réunir les extrêmes et ne transiger pas :

"Mon coeur, préservez-moi de toute haine, ne faites pas de moi cet homme de haine (...) Vous savez que ce n'est point par haine des autres races que je m'exige bêcheur de cette unique race, que ce que je veux c'est pour la faim universelle, pour la soif universelle" (7)

Cette unique race a un nom : l'Afrique. Une afrique en proie à une dramaturgie des éléments et aux vicissitudes de l'histoire mais dont il refusait qu'elle pût  être entamée dans cette force vitale  qui est la sienne.

"De ce grand coeur de réserve" Aimé Césaire a ressuscité la puissance incantatoire de la langue, son pouvoir conjuratoire et expiatoire ; Michel Leris dira de lui : "il nous fait sentir la présence de ce qui nous fut présent". Il n'aura de cesse de vouloir "garder les yeux clairs", selon ses propres mots.

Son indéfectible amitié avec Wifredo Lam aidera le peintre à réemménager ses origines dans un mouvement  d'amour qui fera dire au poète : chacune "de ses sculptures traitée avec autant de soin qu'un personnage humain, lui confère cette présence si mystérieuse".

A ce "liseur d'entrailles et de destins violets", le poète interroge le peintre en ces termes : "Que cherches-tu à travers ces forêts de cornes de sabots d'ailes de chevaux : toutes choses agües, tous choses bisaigües (...) ?" (8) Sans doute cette arme de guerre dont parle Picasso qui caractérise et l'oeuvre du poète et du peintre, amis. Oui, ils avaient conscience l'un et l'autre, qu'il fallait mettre le monde au pas, et que cette entreprise ne faisait que commencer car pour ces trois hommes : " aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la force", ainsi parlait Aimé Césaire.

(1) Tropique, Éditions Jean-Michel Place

(2) Mots Macumba, in Moi Laminaire, Éditions Seuil

(3) Cahier du retour au pays natal, Éditions Seuil

(4) Mots Macumba, in Moi Laminaire, Éditions Seuil

(5) Cahier du retour au pays natal, Éditions Seuil

(6) Le pur sang, in les armes miraculeuses, Éditions Seuil

(7) Cahier du retour au pays natal, Éditions Seuil

(8) Itinéraires africains chez Picasso, in Courrier international de l'Unesco, déc 1980

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