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Porte sur le toit
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9 décembre 2008

René Char : la foudre du poème, part IV

René Char : Intermezzo avant de reprendre ma réflexion sur la foudre du poème

Rigoureux dans l’émouvant, volatile et terreux, la langue effilée comme la pointe d'un sabre courbe, observateur insatiable des espaces cosmiques ou du chant tremblé du grillon amoureux, le poème ne se conçoit plus que "marié à quelqu'un", faisant renaître l'espoir de l'"inespéré". En une commune présence à la terre et aux mots qui en sont imprimés, entre "fureur et mystère", le regard d’un résistant rejoint celui d’un aromate chasseur, une douleur résidente dont il ne se défera jamais et qu’il habite comme ce nu contre une maison sèche, et qui serait à l’image de ce poète dont la sagesse appuyée sur le doute, inaltéré, n’appelle ni allégeance ni compassion, l’épars est dense et le dense traverse le tremblement de la chandelle recréant par ses mots un portrait de de La Tour... Ces mots s'éprennent les uns des autres, " devant un soleil d'hiver à la bouche de pourpier sauvage". 

René Char était un amoureux de la marge, des chemins de traverse, coupant à travers champs avec les "matinaux" : ses compagnons de fortune qui vivaient dans le vagabondage des saisons, faussant compagnie à un monde par trop codé, faisant passer leurs mots en contrebande auxquels il reviendra inlassablement le poète. Ces "mauvais" garçons avaient aux yeux du jeune René Char le charme d’un Villon. Ces vers portent une manière de tendresse admirative : "Compagnons pathétiques, qui murmurez avec peine, allez la lampe éteinte et rendez les bijoux. Un mystère nouveau chante dans vos os. Développez votre étrangeté légitime." (in Fureur et mystère)

Dans Consentement tacite, ce poème est une adresse directe aux matinaux :

L’adolescent souffleté : « les mêmes coups qui l’envoyait au sol, le lançait en même temps loin devant sa vie, vers les futures années où, quand il saignerait ne serait plus à cause de l’iniquité d’un seul. (…) ».  Les Matinaux continueront à « cajoler la vase » et « son sec frémissement » leur terrain de jeu qui, un jour, leur offrira la possibilité de s’en affranchir ; alors, chacun « se tiendrait droit et attentif parmi les hommes, à la fois plus vulnérable et plus fort ». 

La guerre annoncée, il entre en Résistance comme on s’enfonce dans des forêts de pins, zébrées d’ombre et de lumière enneigée. L’âpreté, la rigueur des maquis consignée dans les Feuillets d'Hypnos publié aussitôt après la fin de la guerre, annonce un glissement vers une repli nocturne, quand la vie se met à régresser vers une nuit que seule la bougie d’un Georges de La Tour aurait pu éclairer. Avec ce peintre-là se crée comme on sait par les textes qui lui sont dédiés : une "amitié fantastique". Après la Libération, sa pensée donne le sentiment d’une déchirure indépassable, elle se rassemble dans et à travers une unité profondément disloquée qui lui fait dire dans le Feuillets d’Hypnos 209 :

"Mon inaptitude à arranger (en ital. dans le texte) ma vie provient de ce que je suis fidèle non un seul mais à tous les êtres dont je me trouve une parenté sérieuse. Cette confiance persiste au sein des contradictions et des différends. L’humour veut que je conçoive au cours d’une de ces interruptions de ce sentiment et au sens littéral, ces êtres ligués dans le sens de ma suppression." Feuillets d’Hypnos, 209

Dans Poème pulvérisé (1947), son écriture se disperse en mille ruisseaux de la vie diurne. Quelques vers épars disent avec cette mise à distance de cette déchirure : « Le danger nous ôtait toute mélancolie », ou encore «Orageuse liberté dans les langes de la foudre, sous la souveraineté du vide, aux petites main de l’homme. » 

Ces vers prennent un tour aphoristique, comme s’il énonçait quelque chose de définitif : "Ne t’étourdis pas de lendemains, tu regardes l’hiver qui enjambe les plaies et ronge les fenêtres…".

"Tu" fait signe vers tout lecteur quel qu’il soit, qu’il prend à parti.


Sa langue reprend vie dans la poésie orale qui s’enracine dans la tradition des conteurs provençaux, aux bras de ces anciens "Transparents" vagabonds. Les Matinaux est écrit entre 1949 et 1950.

Après 1950, Yvonne Zervos, le tire vers le visible, il s’entoure de ses "alliés substantiels" : Braque, de Staël, Miró, Vieira da Silva, Beaufret, Heidegger, Bataille, Camus, Blanchot…



La Parole en archipel (1962), Le Nu perdu (1971), La Nuit talismanique (1971), sont des insomnies habitées par l’écorce qu’il caresse de son pinceau et d’où éclatent des bleus violentés, teintés de rouge qui les tirent vers des violets.

Le nu perdu et Aromates chasseurs sont de ses recueils ceux qui me bouleversent le plus. Comment ne pas entendre cette phrase comme une sorte de constat à la fois terrible et sage : « Ce que nous accomplissons d’essentiel, nous l’accomplissons faute de mieux. Sans consentement ni désespoir.» La phrase se clôt ainsi : « pour seul soleil : le bœuf écorché de Rembrandt » qui semble opacifier le sens mais  donne à cet adage toute la force significative d’une toile qui montre ce bœuf dans un même balancement : entre consentement et négation du désespoir.

Aromates chasseurs  trace la course d'Orion dans un espace détruit en son intimité; Chants de la Balandrane (1977), Fenêtres dormantes et Porte sur le toit (1979), dénoncent les "utopies sanglantes du XXe siècle" dans Les Voisinages de Van Gogh (1985), où la mort s’éprouve dans une éveillée :"Maintenant que nous sommes délivrés de l'espérance et que la veillée fraîchit... bergeronnette, bonne fête!"


Sa poésie s’étire douloureusement entre Fureur et mystère  et Energie disloquante, sans jamais céder à la rupture devant "cette immensité, cette densité réellement faite pour nous et qui de toutes parts, non divinement, nous baignaient", où sa langue s’éprend de ses « loyaux adversaires » qui éclairent en pulvérisant le temps de la terreur, s’insurgeant contre, dénonçant l'éclatement des liens de l'homme esclave de ses intolérances, furieusement opposé à l'asservissement des sites par des fusées de mort.

Patrice Houzeau et son blog littéraire: dans mes liens, écrit régulièrement sur René Char (voir catégorie qui lui est consacrée).

Jalel el Gharbi (également dans mes liens), s'interroge dans son dernier post sur le rapport entre poésie et autobiographie. Ce qui nous incite à réfléchir sur le statut du je dans la poésie. Dans les confessions, le journal, les confidences... le je semble être lié ou relié par le secret, secret qui cherche à se dire. Dans le poème, le secret n'est-il pas dans le dire même?

Rajout :

"Le poème est l'amour réalisé du désir demeuré désir" in Fureur et mystère, p. 162, Pléiade, OEuvres complètes.

"Entre innocence et connaissance, amour et néant, le poète étend sa santé chaque jour", p. 163,  Pléiade.

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Commentaires
L
Merci pour ces mots ... et ce parcours dans l’œuvre de René Char.
A
Merci Jalel pour votre passage. Je suis en effet passée "chez vous" et me suis un peu noyée devant l'abondance de commentaires. Mais je pense à laisser un petit mot. Merci pour cette citation de René Char, je ne m'en souvenais pas, et pourtant... elle mériterait d'être connue par coeur, avec coeur.<br /> Bien à vous.
G
Merci de l'écho que vous donnez à mon billet, qui a suscité un échange et des échos fructeux que je vous invite à lire et à enrichir.<br /> Char : beau billet auquel j'aimerai ajouter cette citation de Feuillets d'hypnose :<br /> La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil<br /> Très cordialement
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