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Porte sur le toit
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2 octobre 2008

Il était une fois... la tache

 

L'œuvre de Léonard de Vinci est en soi une invitation à aiguiser son regard, à porter toute son attention sur les taches qui «éclaboussent» et constituent la matière des vieux murs. C'est presque en s'excusant, on peut le comprendre, qu'il nous explique que scruter des tâches relève d'un exercice spéculatif qui peut sembler dérisoire et presque ridicule, dont il souligne cependant l'efficacité pour exciter l'esprit à divers inventions. ( L'atelier du peintre. N° 350)

 

La tache ouvre des mondes, elle renferme des mondes, c'est selon. Si ce précepte semble avoir été perdu, Henri Michaux l'a redécouvert lorsqu'il a lancé cet assaut épique, convoquant sur la page ces fameuses taches d'encre multiformes. D'assaut en assauts, des bestioles à moins qu'il ne se soit agi de «diables » africains se livraient à d'étranges actions, comment en tous cas ne pas songer à des armées  d'insectes ou d'individus en pleine effervescence.

Michaux_19

Ce qui est certain, c’est que la tache a figé ou fixé dans le temps la puissance que l'encre a reçu du bras et du poignet de celui qui l’avait exécutée. Toute l’énergie de l’homme est passée dans cette modeste éclaboussure… Léonard de Vinci avait-il pris la mesure d'un tel exercice ?

 

Si l’on regarde les murs souillés de nombre de taches, ou parsemés de pierres multicolores, avec l'idée d'imaginer quelque scène, on y verra l'analogie avec des paysages au décor de montagnes, de rivières, de rochers, d’arbres, de plaines ou de vallées et collines de toutes sortes. Cette idée pour moderne qu’elle paraisse au premier abord, nous semble très rapidement stupide. Pourquoi cette idée serait-elle particulièrement moderne ? Les hommes n'avaient-ils jamais pensé jusqu'à nous, à perdre leurs pensées dans les formes incertaines des nuages ? Les Dieux eux-mêmes n'en seraient-ils pas le résultat ? Un vol d’oiseau était en soi déjà tout un récit, on y lisait des présages.

 

Cet exercice de Léonard illustre l'esprit de la Renaissance qui faisait usage de l'analogie pour tenter d'ordonner une dernière fois le Monde. Les couples sont bien formés : macrocosme / microcosme, tournesol / tourne soleil… Nos ancêtres, déjà, avaient découvert que la noix pilée possédait des vertus thérapeutiques pour traiter les maux de tête ? La réponse était déjà analogique. Il est vrai que la ressemblance entre une noix et le cerveau humain à de quoi nous étonner ? Vous trouverez sur ce sujet un long développement de Foucault dans Les mots et les choses. Cette vérité d’usage fondée sur la ressemblance, nous l'avons gardé ne mémoire. Et l'infiniment grand se retrouve et se réplique dans l'infiniment petit. Pascal le redira à sa façon, Foucault, plus près de nous, et les Chinois qui n’ont jamais cessé de penser autrement. Le monde se répète, comme un pliage, réduit à l'infime ce qu'il déploie dans l'infini. C'est le sens caché de l'homme vitruvien mais qu’il conviendrait plutôt de nommer l'homo cosmos.

Le pied tout entier trouve place entre le coude et le poignet ou entre le coude et l'aisselle quand le bras est plié. Regardez Le penseur de Rodin, il vous dit tout de cet équilibre des proportions.

L'homme qui se met à genoux perd un quart de sa hauteur.

L'amplitude de ses bras ouverts est égale à sa hauteur. Ceci ne vaut pas pour les volatiles.

Replions l'homme sur lui-même jusqu'à revenir au big-bang puisque telles sont les limites de nos conceptions. La tache est précisément ce repli du monde dans l'univers de l'infiniment petit. Pli davantage que repli si l’on parle avec Deleuze commentant Leibniz.

 

La tache est multiforme a plus d'un égard. Non seulement, elle ne répond à aucun critère, mais au premier abord elle ne fournit aucun indice, aucune direction de lecture. Elle autorise par excellence une lecture libre. La tache est multiforme, précisément parce qu'elle est plusieurs formes à la fois. Un clignement de l'œil suffit à la faire disparaître pour en faire apparaître une autre. Son apparente unité se dérobe à nos yeux. Ce qui était pour nous un tout devient un presque rien. Chose insignifiante qui pourrait passer inaperçue mais qui pourtant a convoqué toute notre attention. Ce qui était regard est devenu rocher. Ce qui était montagne est devenu nuage. La tache se métamorphose en son autre. Insaisissable par essence. Plus nous nous efforçons de la déchiffrer, plus son incertitude nous gagne. Cette incertitude est d’ailleurs d'autant plus grande qu'aucun projet ne paraît l'animer.

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Commentaires
A
merci, cher too, pour ce texte. C'est beau cette idée de peinture vivante ainsi expliquée.<br /> Je pensais trouver "l'art de la tache" mais il est épuisé, je continue d'y réfléchir.<br /> A très bientôt.
T
sur la tache! C'est promis, ce lundi, je mettrai de mon côté une image pour l'illustrer!<br /> Je me rappelle d'un texte relatif à l'imaginaire suscité par la surface des murs :<br /> Chen Kua (1031-1094), Mong-k'i pi-t'an (chapitre 17) :<br /> "Vous devriez d'abord chercher un mur en ruine, et étendre soigneusement sur ce mur une pièce de soie blanche. Alors appuyez-vous sur ce mur en ruine, et matin et soir contemplez-le. Quand vous l'aurez regardé assez longtemps à travers la soie, vous verrez sur le mur ruiné des bosses et des méplats dont le tracé sinueux formera parfaitement le dessin d'un paysage. Retenez bien en esprit l'image perçue par vos yeux, alors les bosses formeront les montagnes, les fonds formeront les eaux, les creux formeront les vallées, et les failles les cours d'eau. Les parties claires constitueront les premiers plans et les parties sombres les lointains. Grâce à la faculté qu'à l'esprit de saisir les choses et l'idée de les instaurer, vous croirez voir là des personnages et des animaux, des herbes et des arbres, des créatures volantes et mouvantes allant et venant. Quand(ce spectacle)s'imposera à votre regard, vous gouvernerez votre pinceau au gré de votre pensée. Alors dans le silence de la contemplation, en état de communion spirituelle, le paysage vous apparaîtra dans sa vérité spontanée comme façonné par la Nature, sans rien qui rappelle une oeuvre humaine. Voilà ce qu'on appelle une peinture vivante. <br /> (Traduction Nicole Vandier-Nicolas)<br /> <br /> Bon dimanche et à bientôt!
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